Paul McCartney : ne me demandez pas de ne pas l’aimer

L’ex-Beatles, l’éternel compagnon, le dernier pharaon, nous révèle le secret des pyramides dans “Egypt Station”.

“Egypt Station” - sortie : 7 septembre 2018

1989, Palais Omnisport de Paris Bercy, à quelques mètres de la scène, on y est. La lumière s’éteint, des cris par milliers, ceux de mon frère, les miens, et d’un coup, comme échappé de mon imagination, d’une pochette de disque import, d’un poster bricolé, d’un samedi soir loin de tout, des Enfants du Rock, le voilà  coupe mulet, petit gilet années 80, sa basse hofner, ses grands gestes, il est bien là, devant moi. Et c’est “Can’t Buy Me Love”, la foule m’emporte au loin et me ramène, différent, meilleur qu’avant. L’univers existe, ce soir-là, j’en ai connu le centre.

2018, j’ai cent ans de plus. La vie m’a emporté loin, et m’a ramené, différent, un peu moins con qu’avant. Les mauvais jours, je regarde Paul et Linda tondre leurs moutons écossais, j’écoute “Ram”, je me souviens de ma première fois à Abbey Road, des escaliers, de la porte d’entrée, de mon émotion proche de celle qui m’avait envahi ce jour d’été anglais où Stéphanie Sorez m’avait avoué qu’elle me trouvait mignon. Paul a toujours été là. Yesterday, Here Today et Tomorrow.

Je n’ai jamais revu Stéphanie mais la vie continue, le voyage aussi, direction “Egypt Station”.

16 titres, rien que ça, comme un album concept, le petit bout’chou de Sergent Pepper. Quelques secondes d’opening et “I don’t know” démarre au piano : “...I don’t think I can’t take it anymore”, moi non plus, je pleure déjà. Sa voix sonne comme celle d’un pompiste savant de la vallée de la mort, usée par les vents de sable, captivante et touchante. On passe du pompiste au pompier avec “Come on to Me” (pardon Paul mais là tu pousses). On ne lui en voudra pas longtemps grâce à “Happy with you”, jolie balade (presque) irlandaise à la guitare acoustique accompagnée de ses petits coups de bottines à la “Blackbird”. “Who cares” nous fait quitter la highway, vitesse de croisière bluesy, les filles secouent leurs cheveux. Ça tombe bien, voilà (I just wanna) “Fuh Youuu”, excellent single, grosse rythmique, allez, on décapote ! C’est le moment que choisit George Harrison pour faire du stop, barbichette début 70’s, l’air moody, humour grinçant, on l’embarque avec sa 12 cordes sur “Confidante”. Les deux s’en mettent plein la gueule tout le trajet, comme à la belle époque d’Apple Records, pourtant “People want peace” non ? Titre étrange, un peu Cirque du Soleil, Yoko Ono au premier rang, fédérateur mais un brin tendu. Après toutes ces années, on ne s’en veut plus, marchons dans la vie “Hand in hand”, un bout de coeur pur qui aurait sans doute trouvé sa place dans “Chaos and creation in the backyard”, album majeur de Macca paru en 2005 et réalisé par le brillant Nigel Godrich. “Dominoes” tombe gentiment derrière, sans rien bouleverser, sans rien casser, c’est le péage. Sur le titre d’après, j’ai cru à l’arrivée soudaine de la pub Spotify, eh bien non, c’était toujours Paul avec “Back in Brazil”. On ne dit pas à la femme qu’on aime qu’elle a pris du poids. Là c’est pareil. Suivant. C’était sans doute pour mieux apprécier le superbe “Do it now”, un clin d’oeil amoureux à “Pet Sounds”, un gros hug à Brian Wilson. “Caesar Rock” flirte avec l’esthétique Gorillaz, le combo psychédélique fonctionne, Paul se sent pousser la voix, celle de “I’ve got a feeling”, la meilleure. “Despite repeated warnings” ralentit le tempo, baigne dans l’effet, les acides, les space cakes, à partager sans modération. Le morceau est à tiroirs, comme un “Band on the run” peut-être un peu trop solitaire cette fois-ci. Interlude choral sur “Station II” avant le Medley final de l’album, qui n’est pas sans rappeler le climax d’Abbey Road. Il s’ouvre sur “Hunt you down”, comme un bon vieux Wings bien râpeux. On entendrait presque Dennis Laine marmonner juste derrière la cowbell “Quand est-ce je pourrai placer une de mes bloody chansons gna gna gna, gna gna gna…” Virage un peu raide vers “Naked”, la nudité ne prévient pas. “J’ai toujours été nu”. Paul se déleste, balance tout. Après l’orgasme, le post-coït, on chute dans le coton, avec “C-Link”, blues ternaire instrumental, spacieux, Pink Floydien, The End.

Alors oui, vous aurez le droit de me faire avouer que cet album ne restera pas dans l’histoire comme un de ses meilleurs, que Stéphanie ne pensait pas vraiment ce qu’elle m’a dit, que mon père avait raison, mais ne me demandez pas de ne pas l’aimer.

“Egypt Station” m’emporte loin dans mes souvenirs, au milieu des rayons de record stores disparus, et me ramène avec le courant, ému, reconnaissant, plus vivant qu’avant !

Merci Paul !

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